quinta-feira, setembro 07, 2006

O Síndroma de Stendhal (V): Non à Yvonne Rainer?, por Gérard Mayen

No texto que hoje se apresenta, no âmbito do dossier especial de aniversário do blog, o crítico francês Gérard Mayen dá a conhecer, em pré-publicação exclusiva, um ensaio sobre as relações entre a dança norte-americana e francesa. Partindo de rejeições mais ou menos explícitas ao Judson Dance Theatre, Mayen analisa o modo como criadores independentes procuram desenvolver um discurso mais próximo de correntes criativas europeias. Naquilo que é uma atenta visão sobre a realidade da dança nova-iorquina, o crítico enfrenta modelos de classificação, sugere linhas de interpretação para os espectáculos e reflecte sobre a falência dos discursos artísticos.

Non à Yvonne Rainer ?

En se réinventant, la scène chorégraphique new-yorkaise brouille les jeux d’influence entre les deux rives de l’Atlantique, et pousse à questionner quelques notions réputées acquises.

Comment New-York a perdu sa position dominante dans la danse moderne. Sous ce titre, un article de Gia Kourlas dans le New-York Times a provoqué moult remous la saison dernière. La critique du grand quotidien concluait son analyse en ces termes : « Quarante ans se sont écoulés depuis le mouvement du Judson. L’heure a sonné pour une nouvelle révolution, et la plus marquante possible ». Notamment, l’article indique trois noms d’artistes que New-York devrait découvrir ou revoir urgemment : Jérôme Bel, Christian Rizzo, Boris Charmatz.

A partir de quoi il serait plaisant, mais terriblement paresseux, de n’y reconnaître qu’un mouvement de balancier, qui voudrait que le flux d’influence soit comme naturellement en train de s’inverser, sur la position France, après que les grands modèles de la modernité chorégraphique américaine aient dominé les trois ou quatre dernières décennies occidentales. Or le sous-texte même de l’article de Gia Kourlas récèle un paradoxe qui suffit à suggérer combien ces jeux d’influence relèvent de lois autrement subtiles que celle des vases communicants.

Le même raisonnement ne la conduit-elle pas à estimer en effet que, d’une part, les apports de la révolution du Judson Dance Theater ont fini de s’émousser sur la scène chorégraphique new-yorkaise, et d’autre part tout autant à conseiller de s’intéresser à des artistes représentatifs du courant français de la déconstruction de la représentation spectaculaire ; lequel a volontiers étayé sa propre recherche esthétique par une relecture – une actualisation – des acquis de ce même Judson ?

Il n’est de référence qui fasse sens, que par l’examen de ses modalités de circulation à travers les espaces et les époques, caractérisées par des approches et articulations chaque fois singulières. A New-York, le chorégraphe John Jasperse expose assez bien l’ambivalence de l’état actuel de l’héritage Judson. Bien diffusés par les filières très performantes de formation universitaire en danse, ces acquis seraient assimilés dans les termes suivants : « le rejet du romantisme en danse ; la recherche du sens de celle-ci ailleurs que dans l’expression symbolique ; l’approche politique de la question culturelle, ou sexuelle ; l’importance des release technics ». Mais assimilation ne signifie pas problématisation, et le même John Jasperse constate : « cette référence au Judson est aussi devenue un fourre-tout, un lieu commun vidé de sens. Devant toute expérience neuve, on dira “c’est du Judson” sans savoir de quoi on parle, ni prendre la peine de conduire une analyse originale ».

André Lepecki dirige le département d’études de danse de la New York University. Il est très proche aussi de la scène européenne de la performance et de la déconstruction, qu’il a accompagnée, particulièrement au Portugal. Il avance l’hypothèse suivante : « Il y aurait quelque chose de quasiment anthropologique dans la façon dont la formation américaine en danse, organisée en filières universitaires, a consacré la notion de maîtres et de filiations. Cela ne prédispose pas à une déconstruction des modèles. Dans un rapport de filiation, il n’y a qu’une alternative : soit entretenir fidèlement l’héritage, soit le rejeter. Il n’y a guère de place pour la démarche qui consiste à reconnaître qu’on a effectivement un corps Trisha Brown, ou un corps Cunningham, et à questionner les articulations critiques complexes qui peuvent s’inventer à partir de ce corps là ».

On ne peut reproduire toutes les nuances d’appréciation qu’inspire l’évocation du Judson en présence des figures de la jeune scène new-yorkaise. Mais quant à l’actuelle urgence de leur expression, bon nombre d’artistes pointent une inadéquation théorique. Dans sa récente pièce Before intermission, le délicat Trajal Harrell révèle la concomitance méconnue de l’apparition du voguing et de la pratique des pedestrian movements, mais pas dans les mêmes quartiers ni milieux de la ville. On marche beaucoup dans les deux. Mais le voguing consiste, pour les jeunes gays latinos et blacks à s’approprier langoureusement les poses surjouées des stars et des mannequins. Les pedestrian movements relèvent, eux, d’un parti expérimental des artistes du Judson, opposant le geste quotidien au beau geste. D’où la contradiction : « Je vois un principe très fort de redistribution démocratique du geste dans le voguing, mais très virtuose et romantique. Pour participer de ce romantisme, je me rebelle contre Judson… » médite le chorégraphe.

D’une verve plus radicale, Jeremy Wade pointe les pièces d’Yvonne Rainer Trio A et The mind is a muscle et la pensée qu’elles sous-tendent, résumée en 1965 dans des lignes qu’on a voulu parfois ériger en manifeste de tout le Judson : « NON au grand spectacle non à la virtuosité non aux transformations et à la magie et au faire-semblant non au glamour et à la transcendance de l’image de la vedette non à l’héroïque non à l’anti-héroïque non à la camelote visuelle non à l’implication de l’exécutant ou du spectateur non au style non au kitsch non à la séduction du spectateur par les ruses du danseur non à l’excentricité non au fait d’émouvoir ou d’être ému ». Pour le jeune chorégraphe c’est non : « Cette pensée est celle de la présence vide et du refus de la tension émotionnelle. Mon inspiration vient des drogues et des night-clubs. Je travaille sur l’absolue tension émotionnelle, sur l’abus de corps, la saturation d’un corps schizo ».

Ainsi, aux yeux de Tere O’Connor, qui accompagne cette génération du haut d’un parcours plus confirmé, le changement en cours le plus significatif serait précisément qu’ « on renonce à la notion de mouvement artistique structuré, théoriquement référencé. Les esthétiques de ces artistes sont très diverses. La caractéristique qui les relie réside ailleurs : dans leur manière de concevoir leur production, qui rend compte de l’ensemble des modalités de leur existence et de leur vision sur le monde ». Tous connaissent une grande précarité : absence de soutien public, exercice d’un double métier, logement dans les quartiers post-industriels lointains du Queens et de Brooklyn, impossibilité de payer les interprètes, rareté d’accès aux studios, etc.

Sur scène, la sophistication du regard français s’étonnera souvent de leur engagement brut, peu distancié, dans une présence hyperbolique au goût parfois “show off”, tout en effectivité expressive, avec adresse au public manifeste et prise directe sur une culture courante new-yorkaise. On pourrait y déceler quelque chose d’un “café-théâtre underground”, où parfois une sensation de vulgarité – tout du moins d’approche peu affinée des enjeux de la scène – peut le disputer à la marque compressée d’une urgence de survie. Dans les formes percutantes qui en découlent se renouvellerait, pour le meilleur et parfois le pire, l’ambiguïté qui s’attache à la notion de “performance” dans l’acception anglo-saxonne : à la fois terme générique désignant toute prestation scénique d’artiste – valorisant implicitement le modèle convenu et repéré de la bête de scène – ou bien référence resserrée au courant esthétique historiquement issu du champ des arts plastiques, qui, lui, radicalise une pratique critique de l’acte artistique en lui-même.

A cet égard, le nouveau paysage new-yorkais de la performance chorégraphique penche sur un versant nettement opposé à celui cultivé par la scène française actuelle. Sous cette même notion de performance, des artistes de l’Hexagone cultivent certes un engagement aigu sur un principe de pure présence et d’intensification scénique, qui tourne le dos à la théâtralité psychologique, narrative ou illustrative. Mais ses développements dans un tout autre contexte de production matérielle et symbolique débouchent volontiers sur la réinvention de l’excellence d’un art assez luxueux de la prestation scénique de haut vol, au rendu impeccable. Sa signification politique pourrait d’ailleurs être questionnée sous cet angle.

De fait, un énorme point aveugle marque le regard français sur la scène new-yorkaise. Il consiste à ignorer le courant de la deuxième moitié des années 80, début 90’s, qui vit la communauté chorégraphique affronter avec une extrême virulence civique l’épidémie du sida. Entièrement en-dessous de la 14e rue, plus particulièrement dans l’East side moins huppé, les bars, les discothèques, les galeries, les centres communautaires, les squats, les lofts et les trottoirs furent les théâtres d’une multitude de performances radicales. Au contraire de ce qu’il advint pour les arts plastiques, ces formes – peu exportables en l’état, il est vrai – n’ont quasiment jamais été vues en France. C’est à peine si on eut des échos médiatiques de l’invention des créatures drag-queens, tandis que se poursuivait l’immuable cycle qui veut que l’on programme à Paris, Montpellier ou ailleurs, une année Cunnignham, la suivante Trisha Brown, la troisième Lucinda Childs, et la quatrième un autre quand même pour changer.

Or c’est aussi de cette guerrilla esthétique anti-sida, que s’estiment aujourd’hui redevables des artistes tels que DD. Dorviller, Jennifer Monson, ou encore Jennifer Lacey. Cette dernière vient de participer activement à la séquence new-yorkaise de Mauvais genre. Dans Sant-Mark’s church, les artistes de l’actuelle scène new-yorkaise sont devenus les acteurs de cette grande pièce-installation d’Alain Buffard. Pour Mauvais genre l’artiste français renouvelle des séries de quinze à vingt interprètes, collectivités provisoires à travers lesquelles il orchestre une contamination politique de ce qui avait été, à l’origine, son solo Good Boy. En 1998, ce solo manifeste bouleversait la lecture chorégraphique du corps, sous l’empreinte désormais incontournable du VIH.

L’édition new-yorkaise a été permise par le programme officiel d’échanges FUSED. Bien symboliquement, le chorégraphe a failli l’annuler, ne se résolvant pas à l’idée que les performers n’en seraient pas payés, bien dans l’usage de l’économie américaine de la création artistique. De cette version new-yorkaise (qui finalement eut lieu fin mars), Jennifer Lacey estime : « cette pièce typiquement française, se déploie avec un souci d’aboutissement esthétique que les artistes new-yorkais n’auraient pas accepté voici quelques années, quand ils étaient eux-mêmes dans la forme radicale de leurs performances anti-sida ».

Yvonne Rainer est venue voir Mauvais genre à New-York. Ann Halprin a fait de même à San Francisco. Ce sont les deux artistes de l’époque Judson par lesquelles Alain Buffard ré-envisagea radicalement son projet esthétique au cours des années 90. « A présent, je peux dire que la boucle est bouclée. Je peux passer à autre chose » conclut-il. Ainsi sont-ce les notions même d’époques artistiques qui semblent se rejoindre, se croiser, rebondir, revenir, dans ces jeux d’influence de part et d’autre de l’Atlantique, relevant d’une intelligence de l’écart, plutôt que d’une aisance du rapprochement.

Car enfin, une autre ambiguïté règne obstinément, qu’il faudrait définitivement lever : si la post-modern dance qu’enfanta le Judson fut baptisée ainsi, cela ne releva que d’un pur étalonnage chronologique. En effet, dans le paysage américain, ce courant venait s’inscrire après celui de la modern dance. Mais il n’y a pas de rapport direct et fondamental entre cette post-modern dance, et la pensée post-moderne telle qu’on l’entend notamment au jour de la philosophie française. Avec un temps de retard sur les autres arts, assez habituel à la discipline chorégraphique, la post-modern dance a en fait concrétisé les défis de la modernité (exploration systématique des fondamentaux, application de grilles et systèmes, critique du décoratif et des procédés, rigueur formelle, radicalité théorique, problématisation des conditions même d’existence de l’art, etc).

Et quarante ans plus tard, en se défiant du pouvoir prescripteur de tout encadrement discursif, en récusant l’unification des référencements théoriques, en recyclant les emprunts aux codes culturels communs, en investissant les termes immédiats de leur existence, en pratiquant un chahut formel, il semble bien qu’une nouvelle génération chorégraphique new-yorkaise soit en train d’opérer son réel glissement post-moderne.


Gérard Mayen é crítico de dança. Colabora com as revistas Mouvement, Quant a la danse e Danser, entre outras. O texto Non à Yvonne Rainer? é apresentado em pré-publicação no âmbito do dossier especial O Síndroma de Stendhal, tendo sido escrito para a revista francesa Mouvement nº41, onde sairá em Setembro 2006. Agradecimento especial a Jean-Marc Adolphe, editor da revista Mouvement. Links, fotografias (Yvonne Rainer & member of the Judson Dance Group e Vera Mantero em Mauvais Genre, de Alain Buffard) da responsabilidade do blog.
Outros textos já publicos no dossier O Síndroma de Stendhal: Corpo Colonizado, por André Lepecki; A Cat with nine lives, por Margareta Sörenson; Criticism and Politics - a conversation with coreographers Xavier Le Roy e Robyn Orlin, por Arnd Wesseman; Como fazer inimigos e não influenciar pessoas, por Jorge Louraço Figueira.

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